Pour l’émission d’Action en Direct consacrée au 1er mai, journée internationale des travailleurs et travailleuses, j’ai décidé de vous parler des faux-amis de la classe ouvrière.
Plus précisément, j’ai décidé de vous parler d’une personne en particulier, qui est aussi le représentant par excellence du courant du capitalisme social au Québec, et j’ai nommé Alexandre Taillefer, m’sieur Téo Taxi!
En effet, on n’arrête plus d’en parler dans nos bons vieux médias : on l’invite en entrevue un peu partout, il fait la une des magasins, y’a plus moyen d’ouvrir sa télé ou de lire les journaux sans voir apparaître sa face à quelque part. Petite expérience récente, la fin de semaine passé, je fais mon épicerie et quand j’arrive à la caisse, je check les magasines, qui c’est que je vois tu pas en première page du oh combien pertinent Sélection Reader’s Digest ? M’sieur Taillefer tout sourire avec le sous-titre « capitaliste pur et doux ». Ça donne tu assez le goût de l’acheter ?
C’est ça qui est le fun avec ces merveilleux capitalistes sociaux, ils ont tellement l’air gentils et débordants de vertu. Alors que la majorité des capitalistes sont là pour s’enrichir, les capitaliste sociaux, et notre ami Alex en tête, sont là parce qu’ils sont gentils, et ils demandent rien d’autre que de créer des bons emplois, respecter l’environnement, être inclusifs, dénoncer les excès du capitalisme sauvage, bref, être plutôt des bons pères de famille que des méchants patrons sanguinaires. Et tout ça, au grand dam de leur propre vie, ils font tout ça pour nous faire plaisir, nous, travailleuses et travailleurs, citoyennes et citoyens, contribuables et autres tatas pris au bas de l’échelle sociale.
Ils veulent pas faire du cash comme tout bon capitaliste, non non non, eux ils partent des entreprises par simple grandeur d’âme. Un vrai chevalier blanc vertueux qui va sauver le Québec, ce Taillefer. J’ai trouvé cette entrevue qu’a donné notre gentil sauveur à l’émission les Francs-Tireurs en octobre dernier avec le oh combien pertinent Benoit Dutrizac. Voici un extrait où Alexandre Taillefer nous parle de ce que sont, selon lui, les différents types de capitalisme, le sauvage et le social.
Le capitalisme, selon notre grand justicier, c’est un système qui fait en sorte que si tu travailles fort, hein comme lui mettons, bien tu peux devenir riche. Ah ben maudit! Il faudrait qu’il passe le mot aux gens qui travaillent chez McDonald’s, aux infirmières qui travaillent 80h par semaine, aux femmes de chambres qui travaillent dans les hôtels de luxe qu’il fréquente, et, rendu là, à ses propres chauffeurs de taxi. Dans le fond, notre Taillefer, y’est juste au top de la hiérarchie parce qu’il a travaillé fort, contrairement à nous bande de fainéants !
Ça fait que j’ai décidé d’aller voir un peu d’où il vient notre porte-parole officiel du capitalisme social bien de chez nous. Alexandre Taillefer a fait ses études secondaires au Collège Stanislas et ses études collégiales au Collège Jean-de-Brébeuf, deux établissements pas du tout reconnus et où n’importe quel chauffeur de taxi employé par m’sieur Taillefer pourrait envoyer ses enfants, c’est clair. Ces spots là, c’est clairement pas des clubs-écoles de la bourgeoisie québécoise depuis des décennies. Oh que non! Il fonde sa première entreprise du nom d’Intellia en 1993. On va l’écouter nous expliquer comment ça s’est passé.
Ah ben! Papa Taillefer ne lui a donné que la modique somme de 50 000$ en 1993 pour l’aider à se partir en affaire, pas des millions comme a reçu Donald Trump de son père, t’sé. C’est juste deux fois mon salaire annuel, y’a rien là. J’veux dire en 1993, tout le monde pouvait se permettre de donner 50 000$ à ses enfants pour qu’ils se lancent en affaire. C’est juste que Taillefer, lui, avait la fibre entrepreneuriale, pis les autres étaient trop tarés pour réussir. Voilà tout. Oubliez pas, si vous travaillez fort, vous aussi vous pouvez réussir et vous acheter un vaste manoir à Saint-Lambert. N’allez surtout pas croire qu’Alexandre Taillefer faisait partie de l’Élite, t’sé.
Ensuite, notre grand travaillant de Taillefer s’est parti une autre business, Hexacto, spécialisée dans les jeux vidéos pour téléphone cellulaire qui s’est fait acheter par la compagnie Electronic Arts en 2005 pour la modique somme de 680 millions de dollars. Mais on a surtout commencé à entendre parler d’Alexandre Taillefer grâce à la merveilleuse émission de télé-réalité Dans l’oeil du dragon. En effet, pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, cette émission a un concept très simple. En gros, de jeunes entrepreneurs dynamiques viennent présenter différents projets d’investissement à 4-5 multi-millionnaires et le but c’est de les convaincre de jeter une couple de dizaines de milliers de dollars pour acheter une part de leur jeune entreprise. Et tout ça, diffusé sur la télévision publique, à Radio-Canada. Tu parles d’une émission qui sert l’intérêt public du pays d’un océan à l’autre! Du contenu de qualité, en veux-tu, en v’là !
Bon à ce moment-ci, je dois vous avouer une chose, Alexandre Taillefer, il me tappe royalement sur les nerfs, comme la plupart de ses collègues patrons qui essaient de se donner un beau petit vernis social. C’est grâce aux Dragons qu’Alexandre Taillefer a pu développer son personnage public de gentil capitaliste, qui, en fait, lui sert surtout à faire la promotion de ses différentes business. Dans le fond, pourquoi payer pour de la publicité dans les médias quand on peut avoir un porte-parole sympathique qui va pouvoir faire encore plus parler de lui sans que ça coûte une cenne à la compagnie. Et c’est précisément là où je veux en venir. Taillefer et les autres investisseurs qui l’entourent se sont dit, si on réussi à avoir l’air éthique avec notre entreprise, et qu’on peut lancer notre marque grâce à des entrevues dans les médias, why not? Si y’a plus d’argent à faire en payant nos employé-e-s 15$ de l’heure pis en ayant des chars électriques parce que notre représentant marketing peut passer dans tous les médias, pourquoi pas? C’est le même principe que les œufs de poule en liberté, le jour où ça sera plus à la mode d’acheter des œufs de poule supposément éthiques, les capitalistes vont se fendre le cul pour en vendre et c’est comme ça que le système fonctionne.
Dans le fond, Alexandre Taillefer, c’est l’équivalent du sac d’épicerie écologique. Un moment donné, y’a des génies du marketing qui se sont dit «Hey, tant qu’à donner des sacs gratuits à l’épicerie, il faudrait qu’on puisse faire payer le monde.» Comment? En créant des sacs full éthiques et réutilisables (mais pas trop quand même), comme ça à la place de donner des sacs gratuitement, on va se faire du profit. On va remplacer ce qui serait normalement une perte par du profit. C’est exactement ce qu’a fait notre valeureux chevalier social avec ses Téo Taxis. Il savait très bien que la compagnie Uber s’installait un peu partout dans le monde et que Montréal allait suivre. Il savait très bien que partout où Uber s’installait, il y avait de la confrontation avec les chauffeurs de taxis et que ça alimentait le débat public. Il s’est dit «Comment tirer mon épingle du jeu?». Tout simplement avec son personnage de capitaliste éthique, il est allé chercher la technologie liée à Uber, lui a ajouté un vernis éthique et a profité du fait que le débat Uber/Taxis faisait la une des journaux pour sortir sa nouvelle entreprise et lui-même faire la une de tous les journaux à son tour. Regardons un peu ce qu’il dit de sa percée dans l’industrie du taxi.
Bref, aujourd’hui, il est le patron de 4 chauffeurs de taxis sur 10 à Montréal. Ah non scusez, c’est vrai, ce ne sont pas ses employé-e-s, mais plutôt ses associés, ses partenaires, ses collègues, parce que tout le monde sait que changer un terme pour qu’il passe mieux, ça change tellement concrètement la réalité. Un peu comme les associés de chez Wal-Mart. C’est beau la novlangue bourgeoise.
En conclusion, j’aimerais dire qu’il faut toujours se méfier de ce genre de personnages. C’est souvent des types comme Alexandre Taillefer qui nous promettent mers et mondes tout en nous faisant se raccrocher au système en place, qui lui est la source de notre oppression. Précisément parce que ces gens font partie de l’élite de ce système et que, si le système s’écroule, ils perdront automatiquement ce qui les différencie de nous, la plèbe. C’est exactement la même chose que les gens qui se présentent en politique en promettant de tout changer via le système électoral, comme un certain Gabriel Nadeau-Dubois. Il ne sert à rien de replâtrer les murs d’une maison dont les fondations sont pourries. Il faut voir ces gens tels qu’ils sont: des personnages publics créés de toute pièce, des gens qui passent des heures à cultiver leur image publique, des gens qui au final ne veulent rien d’autre que le pouvoir, celui de l’argent, celui des médias ou celui de l’État. Peu leur importe, tant qu’ils sont au sommet de la pyramide et qu’il y a des millions de personnes en dessous qu’ils peuvent regarder de haut. Alexandre Taillefer ne fait d’ailleurs pas de cachettes par rapport à ses ambitions électorales. Il se fout du parti, il s’est même déclaré « queer politique », en autant qu’il soit le chef et qu’il puisse réutiliser sa stratégie marketing bien huilée de gentil capitaliste progressiste pour atteindre le top. On l’écoute une dernière fois et je vous laisse là-dessus.
Source: Action en direct
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